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Pourquoi l’empathie rendrait le monde et ses produits meilleurs

Entretien avec Ana Bakalinova, cheffe de produit chez dmg media, UK

J’ai rencontré Ana il y a deux ans lors d’une conférence Digiday à Milan. Elle participait à une table ronde sur le développement de produits. J’ai été impressionnée par la passion d’Ana pour son travail, pour le développement de nouveaux produits et par la façon dont elle a orienté et encouragé la discussion. La rencontrer a été l’un des moments forts de ma conférence.

Ana est cheffe de produit chez dmg media UK, une penseuse stratégique de haut niveau à l’intersection de la rédaction, de la technologie et du développement de produits. En tant que telle, elle est une gestionnaire expérimentée et entrepreneuriale de personnes et de produits numériques. Finaliste du concours Women in Product Management in Europe, en 2019, son expertise s’étend de la gestion des produits numériques à l’association de contenu, en passant par les plateformes de salles de presse et les médias audiovisuels.

J’ai parlé à Ana de :

  • son amour pour le développement de produits,
  • comment elle se tient à jour dans un secteur en constante évolution,
  • ses conseils aux chefs de produit pour la prise en charge d’une nouvelle équipe,
  • ce qu’il faut faire quand les choses ne se passent pas comme prévu,
  • pourquoi l’empathie rendrait le monde et ses produits meilleurs.

Ioana Straeter – Bonjour, Ana. Bienvenue à New World Encounters. C’est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd’hui. Nous aimerions parler de vous et de votre amour pour le développement de produits. Voudriez-vous nous en dire un peu plus ?

Ana Bakalinova – Bonjour Ioana, je suis heureuse d’être ici. Merci de me recevoir. Je suis toujours passionnée lorsqu’il s’agit de parler de ma profession, la gestion de produits. Je travaille dans ce secteur depuis environ 20 ans. Dès le début de l’ère Internet, à la fin des années 90, j’ai étudié le journalisme et j’ai toujours pensé que je serais journaliste. J’ai toujours été attirée par les médias et me suis de plus en plus intéressée à la technologie qui permettait le journalisme à cette époque. À mesure que l’internet étendait sa portée, je l’utilisais pour mes travaux universitaires et j’ai même réalisé une émission de radio sur le sujet. À l’époque, il était très rare d’en parler et d’y réfléchir en tant que média, en tant que nouvelle plateforme qui connectait le monde. Quand je suis venue au Royaume-Uni, j’ai fait mon Master en Commerce électronique à Londres, ce qui a lancé ma carrière dans le numérique. Ma carrière s’est ensuite étendue à plusieurs sociétés d’éditions et de médias, en commençant par AOL et America online, où j’ai débuté comme productrice et où j’ai établi mon rôle dans le domaine des produits.

À cette époque (début 2000), la gestion de produits évoluait vers un rôle numérique, très influencé par l’aspect technique, et n’était pas très bien comprise au Royaume-Uni et en Europe, comme elle l’était dans les entreprises de développement de logiciels aux États-Unis.



Cela a évolué vers un rôle pratique où j’étais une gestionnaire d’implication, ancienne description du poste chef de produit, qui consiste à vous engagez auprès de toutes les parties prenantes, en intégrant toutes les personnes importantes pour vous, en constituant les équipes et en définissant les exigences. Ce travail m’a montré que c’était là que résidaient mes compétences : j’étais un bon connecteur. J’aime établir des liens entre les gens et j’aime recevoir des informations de différents secteurs de l’entreprise pour développer des produits. C’est ainsi que je me suis préparée à une carrière dans la gestion de produits.

J’ai toujours aimé travailler avec des journalistes. C’était ma vocation première lorsque j’étais étudiante. J’ai travaillé un certain temps au Trinity Mirror en tant que cheffe de produit numérique, puis à la BBC Global News, branche commerciale de la BBC, où je dirigeais le développement de produits pour les plateformes numériques et où je gagnais de l’argent pour la BBC, en complément de la redevance publique. Plus récemment, lorsque le Huffington Post a changé de nom pour devenir le HuffPost, je suis devenue responsable des produits pour les éditions internationales : 12 éditions différentes dans des langues locales à travers le monde. Maintenant, je suis chez dmg media où je travaille sur les nouveaux publics, le développement de produits et les nouvelles initiatives au sein de l’entreprise pour diversifier et conduire la transformation numérique et les investissements.

C’est un rôle qui m’a également fait évoluer. Je pense que la clé pour moi a toujours été de regarder vers l’avenir pour comprendre quelle sera la prochaine plateforme qui sera porteuse. Au fil du temps, nous avons vu ce changement, des médias sociaux au développement de sites web réactifs, en passant par le mobile first. J’ai toujours été occupée à regarder l’avenir et à voir ce que font les autres secteurs, non seulement celui de l’édition mais aussi d’autres domaines en développement.

Dans ce cadre, je me suis toujours intéressée à la presse étrangère et pas seulement à celle du Royaume-Uni. J’observe les concurrents, mais aussi les personnes qui ont occupé des postes comme le mien et ce qu’elles ont fait par la suite. En tant que chef de produit, vous pouvez apprendre de ce qui se passe en dehors de votre secteur et choisir des approches qui peuvent être appliquées dans le vôtre. Par exemple, je travaille dans les médias, mais il y a beaucoup à apprendre des fintechs et le paysage immobilier est très numérisé.

La discipline du produit est par nature transdisciplinaire. C’est un rôle central et c’est pourquoi je l’aime. Je n’aime pas être spécialiste d’une seule discipline.

Je lis beaucoup et si je pouvais changer une chose dans la vie, je souhaiterais probablement avoir plus de temps pour lire ce qui se passe vraiment à l’extérieur. Je lis beaucoup, de Digiday au magazine Forbes, sur ce que font les autres – avec un élément d’analyse concurrentielle en permanence. Sans surprise, LinkedIn est également devenu une source importante de nouvelles.

IS – Ana, vous avez récemment changé de poste, ce que vous avez fait plusieurs fois dans votre carrière. Il n’est jamais facile de prendre en charge avec succès une nouvelle équipe. Comment avez-vous fait et quelles sont les erreurs que nous pourrions tous éviter en prenant les rênes d’une nouvelle équipe ?

AB – Il y a équipes et « équipes ». Il m’est arrivé de prendre en charge une équipe qui était très bien intégrée, puis le chef de produit est devenu le patron et je suis arrivée pour prendre sa place. Même si j’assume cette tâche avec leur soutien total, il est évident que j’apporte une personnalité très différente à l’équipe et des compétences très différentes de celles de mon prédécesseur. Ce qui complique la tâche d’embarquer l’équipe dans votre voyage.

Il est plus difficile d’hériter d’une équipe que d’en recruter une. L’équipe à laquelle je pense était très performante, incroyablement douée pour travailler ensemble et très soudée, mais aussi très dépendante de l’ancien chef de produit pour ce qui est de lui fournir les exigences.

On m’a donc dit : « Vous devez travailler de cette façon parce que l’équipe attend que vous le fassiez ».

Sauf que c’est la mauvaise approche parce qu’elle vous place dans une situation d’échec. Vous ne pouvez pas simplement remplacer la personne précédente et travailler de la même manière qu’elle, simplement parce que l’équipe y est habituée.

Les équipes s’attendent à ce que la nouvelle personne remplace la précédente, mais ce que j’ai appris, c’est que la première étape consiste à définir mon rôle et à expliquer à l’équipe quelles sont mes attentes et quelles sont les attentes de l’équipe. Je ne suis pas la même personne et il y aura donc des changements, ce qui implique la gestion du changement – un rôle crucial dont nous ne parlons pas assez. Il est tout à fait humain de s’attendre à ce que les chefs de produit arrivent, prennent la relève et continuent. Mais ce n’est pas le cas parce que nous sommes tous des personnes, nous sommes tous des humains. Nous sommes très différents les uns des autres.

La deuxième chose, et je reconnais ici mes propres erreurs, c’est de ne pas parler à chaque membre de l’équipe pour comprendre où sont ses forces et où sont ses possibilités d’amélioration. On pense trop souvent que parce que leur titre est ceci ou cela, c’est le travail qu’ils doivent faire.

La tâche de recruter une nouvelle équipe peut également être très difficile, notamment parce que l’entreprise attend de vous que vous recrutiez rapidement tous les rôles et toutes les compétences en même temps et que vous les fassiez travailler ensemble parfaitement dans des délais impossibles à tenir.

Et c’est aussi un autre problème auquel nous sommes confrontés : gérer les attentes de la Direction.

IS – Que faites-vous quand les choses ne se passent pas vraiment comme vous l’aviez prévu ?

AB – Cela dépend des choses qui ne vont pas bien. Il y a des choses pour lesquelles la Direction doit être impliquée : vous ne pouvez pas tout régler vous-même.

Mon conseil à tous les chefs de produit est le suivant : N’essayez pas de tout résoudre par vous-même, car si vous réussissez, vous deviendrez un homme à tout faire et la Direction attendra de vous que vous soyez le responsable technique, le responsable expérience utilisateur (UX), le responsable éditorial, en fait le responsable de tout, et celui qui a toutes les réponses. Curieusement, c’est là que les choses tournent mal.

J’ai été dans cette position où je me suis vu attribuer une tâche par un membre du personnel senior qui ne comprenait pas vraiment ce que les chefs de produit font ou (tout aussi important) ne font pas. Et l’on attendait de moi que je remplisse cette tâche même si je n’avais aucune idée de la manière de la réaliser. Dire oui à tout, juste parce que vous vous trouvez au milieu, est dangereux car vous ne pouvez pas être un expert en tout.

Il est toujours bon de gérer les risques et d’être très transparent sur sa position avec toutes les parties prenantes et les membres de l’équipe dirigeante. En effet, dès que vous commencerez à les impliquer et à leur donner une vue d’ensemble de ce qui ne va pas, et pourquoi cela ne va pas, ils seront de votre côté et commenceront à vous aider. Si vous gardez le silence radio, ou si vous ne leur donnez que les bonnes nouvelles, pas les mauvaises, vous vous exposez à l’échec.

Il y a bien sûr d’autres choses qui peuvent mal tourner. Certaines choses ne sont tout simplement pas réparables. Vous pouvez vous retrouver face à un membre du personnel qui n’est pas satisfait de votre style de management ou vous pouvez également découvrir que tout ne vous convient pas, et c’est là que vous devez vraiment prendre une décision.

Je parle ici du pire scénario, mais parfois, lorsque vous vous efforcez de satisfaire tout le monde et que vous sentez votre propre épuisement imminent, vous devez vraiment prendre du recul et vous demander :

– Quelles sont mes compétences ?

– Qu’est-ce que je peux vraiment offrir ?

Je pense qu’il est bon d’être transparent et de parler des problèmes.

IS – Dernière question, Ana : la fée de la gestion des produits vient vous voir et vous accorde un souhait pour votre rôle actuel. Quel serait votre souhait ?

AB – C’est difficile à formuler parce que je ne suis pas sûre que ce soit un souhait que même une fée puisse exaucer, mais imaginons une sorte de baguette magique qui aiderait chaque individu à devenir plus empathique. Ce n’est pas seulement à cause de la COVID mais cela a permis de mettre en lumière les problèmes de santé mentale et d’empathie, et l’importance de comprendre ce que les autres ressentent. En règle générale, devenir plus empathique améliorera notre vie à tous. Nous travaillons avec des chiffres, des objectifs, des livrables et des délais et nous oublions que nous sommes tous humains et que nous devons également comprendre la personnalité des autres. Je pense que si la fée peut donner cela au monde du travail et dire « sois empathique, travaille bien et fais attention à tes collègues », le monde sera meilleur. En effet, voyez si quelqu’un est malheureux, emmenez-le peut-être prendre un café et parler avec lui. Il se trouve que je pense que le lieu de travail et ses produits n’en seraient que meilleurs.

IS – C’est un beau souhait, Ana, que nous ayons tous plus d’empathie, que nous prenions soin de notre côté humain et pas seulement des chiffres. Ana, merci beaucoup du temps accordé.

AB – Ce fut un plaisir, Ioana, merci.