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Jean-Nicolas Baylet : « l’enjeu c’est la qualité des contenus pour alimenter tous les canaux »

Jean-Nicolas Baylet, Directeur Général du Groupe La Dépêche du Midi dresse un bilan économique, publicitaire et nous partage sa vision stratégique. Après un an et demi de crise sanitaire, Le Groupe La Dépêche du Midi retrouve en septembre 2021 le niveau de chiffre d’affaires de septembre 2019. Malgré un contexte économique complexe, le groupe poursuit son développement à travers plusieurs axes comme le rachat et l’intégration de ViàOccitanie, le doublement de son audience, le recrutement d’abonnés numériques ou encore le lancement d’une nouvelle formule de son journal, le 1er octobre 2021. Entretien.

David Sallinen – Comment le Groupe La Dépêche du Midi a-t-il traversé la crise sanitaire ? En somme, quels enseignements tirez-vous de l’année 2020 et du premier semestre 2021 ?

Jean-Nicolas Baylet – À la différence de certains secteurs tels l’aérien, l’évènementiel ou encore le tourisme qui ont fortement souffert, nous avons relativement bien traversé cette période et cela pour plusieurs raisons. La première d’entre-elles est que nous avons pu compter sur la fidélité de nos lecteurs sur toute cette période. Certes, au cœur de la crise, nous avons vu la diffusion baisser jusqu’à -25% mais nos lecteurs ont malgré tout continué à nous lire quel que fût le support (print ou numérique). Évidemment, le domaine où nous avons le plus souffert est celui de la publicité où l’on a connu des baisses de l’ordre de 65% de nos revenus au cœur de la crise.

Malgré un contexte compliqué, nous avons su mettre en place rapidement les mesures économiques nécessaires qui nous ont permis de conserver nos équilibres financiers. Il est vrai que depuis plusieurs années notre secteur est habitué à subir « la crise des médias » et donc le fait de devoir affronter cette crise dans la crise ne l’a pas affolé ; au contraire, il a su s’adapter rapidement.

Cette période, de crise sanitaire et de confinements, a été propice à l’information en général et  notamment de proximité, puisque beaucoup de lecteurs avaient besoin d’informations très pragmatiques. « Qu’est ce qui se passe autour de chez moi ? Où puis-je me faire tester ? Qu’est ce qui ferme ou reste ouvert ? Comment me rendre dans les centres de vaccination ? ». Autant de sujets qui ont permis de mettre la proximité au centre du jeu. Ainsi, dès les premiers jours du premier confinement, les audiences ont été multipliées par dix et la conquête abonnés a été multipliée par trois. Nous avons senti un puissant besoin d’information. C’est ce besoin de s’informer qui nous a d’ailleurs permis de traverser cette crise sanitaire de façon plus sereine, même si cette crise a eu un impact négatif et significatif sur nos revenus avec une baisse de 11% du chiffre d’affaires sur l’exercice 2020. D’ailleurs, il s’agit de la plus forte baisse de l’histoire du groupe.



DS – Cette période de crise aurait-elle été un accélérateur du changement et une prise de conscience des transformations à mener ?

JNB – Oui et non. Je vais m’expliquer. Oui, cette période a été un accélérateur. En effet, le secteur des médias est en transformation depuis plusieurs années pour passer d’un modèle traditionnel de production d’un journal imprimé à un modèle numérique. Notre groupe a 150 ans d’histoire, c’est-à-dire 150 ans de façon de fonctionner avec ses habitudes et avec ses lenteurs parfois. Depuis plusieurs années, nous travaillons à insuffler d’autres logiques plus startup. Et en 2021, nous avons franchi ostensiblement une nouvelle étape dans cette direction.

De plus, l’adaptabilité est chez nous le maître mot de nos organisations et elle a été assez bien acceptée par les collaborateurs et les équipes de La Dépêche depuis plusieurs années. Ce qui nous a permis, durant cette crise sanitaire, de répondre avec beaucoup de sang froid et de professionnalisme à une situation nouvelle et complexe. Donc oui, cela nous a permis de franchir une étape mais non, cela n’a pas été une prise de conscience puisque nous l’avions déjà.

L’enjeu de la nouvelle formule est de continuer de coller aux envies du lectorat.

Jean-Nicolas Baylet

DS – Le fait marquant pour votre groupe en 2020 aura été de quasiment doubler l’audience numérique. Comment expliquez-vous un tel succès ?

JNB – Avec des audiences en hausse de plus de 95%, cela nous a évidemment permis de mieux fidéliser et de renouveler notre lectorat.

À vrai dire, en 2020, grâce au travail de la rédaction, nous avons pu capitaliser sur notre marque numérique. En effet, au moment où une grande partie de la société civile était à l’arrêt et nous nous interrogions sur le fait de continuer de paraître, nous avons fait le choix de poursuivre notre mission chaque jour. Le lecteur nous en a été très reconnaissant. À titre d’exemple, quand La Poste suspendait son service, nous, nous avons continué de porter tous les jours le journal. Dès lors, nous avons eu des témoignages d’affection de gens qui mettaient sur leur porte : « Merci à La Dépêche » ou encore « Merci à mon porteur de continuer de m’informer. » Ceci est très fort en termes de crédibilité et de confiance, cela témoigne des liens que nous avons tissés avec nos lecteurs.

DS – Vous lancez ce 1er octobre, la nouvelle formule de La Dépêche à l’occasion des 151 ans du journal. Qu’est-ce qui a guidé votre volonté de réinventer le journal imprimé dans un monde de la communication, dominé par le mobile et les réseaux sociaux ?

JNB – Cela faisait 13 ans que la formule n’avait pas évolué et il fallait apporter de la modernité. Ce n’est pas parce que nous sommes sur un support traditionnel qu’il faut le laisser vieillir. En réalité, c’est toujours un exercice compliqué parce que l’on sait que notre lectorat n’est pas trop enclin à accepter des révolutions. Donc, notre leitmotiv a été : « évolution et pas révolution ».

L’enjeu est donc de continuer de coller aux nouveaux codes et que lorsqu’une formule vieillit, il faut lui faire un lifting pour correspondre à son époque et répondre aux envies du lectorat. C’est ce qui a guidé cette nouvelle formule.

Autre point important : du fait des regroupements d’éditions durant la crise sanitaire, nous avons testé et fait évoluer notre produit, notamment sur la Une. Avant, nous avions une Une un peu patchwork, avec plusieurs entrées. Nous avons donc testé, avec succès, un choix éditorial en Une plus fort, plus visuel car nous voulions absolument retrouver ces évolutions dans la nouvelle formule.

Ce changement est vraiment un élément majeur car ce n’est pas simple pour une rédaction de mettre chaque jour en avant un choix éditorial fort pour le traiter en profondeur. Cela implique donc une prise de position et un parti pris. Qui plus est, nos tests lecteurs nous ont confortés dans ce sens.

Nous profitons également de cette nouvelle formule pour industrialiser un peu plus nos chemins de fer, afin de réallouer nos ressources du print vers le numérique car c’est tout de même le sens de l’histoire.

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DS – Justement, le Digital-first ou reverse publishing est au cœur de la transformation des médias traditionnels, pourriez-vous nous préciser vos projets ?

JNB – À La Dépêche, depuis plusieurs années, nous publions des articles d’abord sur le numérique puis sur le print. Derrière ces questions de reverse publishing, il y a des logiques d’outils que nous développons et qui vont nous permettre d’accélérer cette transformation y compris sur les articles qui ont vocation à être uniquement sur le print.

En outre, ces dernières années, les pratiques professionnelles ont évolué et l’on dissocie désormais de plus en plus l’information du support. Mais allons au-delà du concept de digital-first, concentrons-nous sur l’information de qualité et ensuite sur les questions de supports. Jusqu’à aujourd’hui, il y avait des médias qui dépendaient d’un support. Désormais, nous devons être multimédia et multi-périodicités. Ainsi, il était important que notre rédaction adopte aussi ces codes et puisse différencier l’information de son support web, journal ou encore mobile.

DS – Après la reprise des trois chaînes ViàOccitanie, comment entendez-vous articuler le print, le web et désormais la TV locale pour mieux informer, engager vos publics ?

JNB – Les synergies sont évidentes et de plusieurs ordres. La première est la synergie de l’information. En effet, depuis plusieurs années, dans nos rédactions, nous avons intégré la vidéo et désormais l’audio. Aujourd’hui, environ 300 vidéos sont produites par mois au niveau du groupe La Dépêche. Ce sont autant de vidéos qui vont être disponibles pour ViàOccitanie qui pourra exploiter les rushs et les utilisera pour faire son métier et l’inverse sera vrai également. Ainsi, les vidéos produites par ViàOccitanie seront reprises sur les sites Internet du groupe La Dépêche ce qui permettra de leur offrir une audience plus importante. Nous sommes vraiment dans une logique gagnant-gagnant.

La deuxième synergie concerne le domaine commercial. Ces chaînes de télévision n’avait que cinq commerciaux sur l’ensemble de l’Occitanie et dorénavant elles vont pouvoir compter sur un réseau de 150 commerciaux, ce qui va générer de nouveaux revenus. En somme, nous allons arrimer l’offre vidéo de ViàOccitanie à notre propre offre vidéo pour compléter nos offres vidéos mais également mieux répondre aux demandes des annonceurs dont certains ont des besoins plus « télévisuels », en leur louant nos plateaux de ViàOccitanie, par exemple.

Ainsi, à un moment clé où les médias sont totalement multimédias et mélangent le texte, l’image et le son, nous allons pouvoir déployer des logiques commerciales qui font sens.

Enfin, la troisième synergie est d’ordre numérique. Étant donné que le groupe La Dépêche est leader de l’information locale et régionale, nous allons déployer un tremplin d’audience à ViàOccitanie et permettre à cette marque média d’exister de façon significative sur notre territoire.

Nous devrions atteindre les 25% du CA générés par le numérique en 2021.

Jean-Nicolas Baylet

DS – Avez-vous bien profité des Régionales pour tester des collaborations entre La Dépêche et ViàOccitanie ? Pour quels résultats ?

JNB – Tout à fait ! Même si nous étions déjà partenaires avant le rachat, la synergie entre nous a pu battre son plein avec les Régionales de juin 2021. Leurs audiences ont été multipliées par 3 par rapport à ce qu’ils pouvaient connaître auparavant. Et tout ceci a été rendu possible parce que nous avons fait un travail en synergie via nos sites Internet.

En effet, le jour J, nous commentons l’actu en direct sur nos sites Internet et nous avons une émission également en direct sur nos chaînes de télé. Le lendemain, l’actu est reprise dans le journal. Donc, nous sommes concrètement en synergie !

DS – Quelle sera la part du numérique dans le chiffre d’affaires du Groupe La Dépêche du Midi en 2021 ?

Comme nous l’avons vu, 2021 sera un accélérateur. Nous devrions dépasser les 25% du CA générés par le numérique d’autant plus que notre activité évènementielle s’est également digitalisée.

DS – Qu’en est-il de votre vision sur l’évolution du business model des médias ? Quelles sont vos convictions ?

JNB – Je ne m’interdis rien. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il soit opportun et viable – en tout cas, c’est une prise de risque très importante – de dire que l’on va choisir un modèle « tout gratuit » ou « tout payant ».

Il y a quelques années, la publicité sur le numérique rapportait peu mais aujourd’hui, nous constatons une tendance à la revalorisation. Ainsi, les excès de certains acteurs peu sérieux qui diffusaient des publicités annonceurs dans des contextes peu propices sont derrière nous. Désormais, les annonceurs ne s’y trompent plus.

À noter qu’il y a également un certain nombre de législations qui sont passées, un certain nombre de labels qui se sont mis en place, ainsi que les directives RGPD de protection des internautes qui se sont mises en œuvre. De ce fait, nous avons vu l’inventaire global publicitaire se réduire et les prix augmenter. Et aujourd’hui, nous avons atteint des niveaux de chiffre d’affaires publicitaires numériques significatifs.

Pour l’heure, la publicité numérique représente entre 15 et 20% de notre chiffre d’affaires publicitaire. Au niveau local, la part de chiffre d’affaires numérique est de l’ordre de 20%. En ce qui concerne l’extra local, la part est de 50%. En résumé, au niveau national le numérique est en train de dépasser le chiffre d’affaires historique print et comme le local réagit souvent avec quelques années de retard la part du CA numérique va être grandissante et participer à rendre notre activité viable.

DS – L’abonnement numérique est devenu un sujet incontournable pour la presse. Qu’en est-il du développement de l’abonnement numérique ? Cette conquête d’abonnés vous permet-elle de rajeunir votre lectorat ?

JNB – Pour les abonnements numériques et les abonnements en général, nous envisageons l’année 2021 avec une croissance à deux chiffres. Nous comptabilisons ce chiffre de deux manières. D’une part, les abonnés au journal imprimé qui ont activé leur compte numérique, soit 40% de notre portefeuille d’abonnés. Et d’autre part, les abonnements strictement numériques, soit 20% du portefeuille d’abonnés. Nos abonnés papier ont en moyenne entre 65 et 70 ans. Quant à nos abonnés Premium ayant accès à la version PDF du journal, ils ont entre 60 et 65 ans. Enfin, les abonnés à nos offres Digital + ont entre 50 et 60 ans. Le développement de l’abonnement numérique nous permet donc de rajeunir notre lectorat et ce n’est que le commencement.

Fin septembre 2021, nous serons revenus au niveau de fin septembre 2019 en ce qui concerne le chiffre d’affaires

Jean-Nicolas Baylet

DS – Quels sont vos prochains axes de développement pour 2022 ?

JNB – Depuis plusieurs années, j’ai un leitmotiv simple : il faut stopper la baisse du chiffre d’affaires. C’est notre enjeu principal.

Notre CA est composé principalement de la vente de contenus (abonnements postés, portés, numérique, ventes au numéro, etc.) et la publicité. Concernant la vente de contenus, nous avons des axes de progression dans ce domaine, notamment sur les abonnements numériques. C’est pourquoi, nous travaillons de plus en plus sur nos données à l’aide d’algorithmes de prédiction pour anticiper à la fois le parcours de maturité de nos prospects, comprendre à quel moment ils seront matures pour devenir clients et aussi anticiper les risques de désabonnement. Cette étape est concrètement la prochaine pour nous.

Quant à la publicité, il y a quatre ans, nous avons fait le choix important de ne plus être simplement une régie média mais de devenir une agence de communication. Ce pari est en train de porter ses fruits puisque lorsque nous regardons nos résultats sur l’année 2020 et ce premier semestre 2021, nous sommes vraiment à contre-courant de la Presse Quotidienne Régionale. En effet, notre agence obtient les meilleurs scores car nous sommes convaincus par notre approche qui consiste à mieux appréhender le client. L’objectif n’est plus seulement de lui vendre des supports médias mais au contraire de l’accompagner sur sa stratégie de communication, y compris si elle ne passe pas par nos supports médias.

Le fait d’être l’acteur principal, de travailler avec le client sur sa stratégie, son message, son packaging et le cas échéant, son plan média, nous permet à la fin d’avoir une relation de proximité et de confiance unique. Cela, les GAFA ne pourront jamais nous le prendre parce que cette proximité, ce conseil, nous sommes les seuls à l’avoir. En conséquence, nous nous apercevons que même si nous continuons de voir le CA baisser sur nos supports traditionnels, nous nous développons sur la vente de prestations, dans l’univers de la communication, l’événementiel, ce qui nous permet aujourd’hui de quasiment stabiliser notre chiffre d’affaires. Pour preuve, fin septembre 2021, nous serons revenus au niveau de fin septembre 2019.

DS – Quels sont vos prochains axes de développement pour les médias qui sont dans l’obligation d’évoluer et de s’adapter au nouvel environnement aussi bien en termes d’offres que de modèle économique.  Qu’est-ce qu’ils ne peuvent plus être et que doivent-ils devenir ?

JNB – La réponse est très claire. Un média ne peut plus être mono support, il doit devenir multimédia. Avant, il y avait les médias papier, TV, Radio ; puis, il y a eu les médias web.

Aujourd’hui, les marques médias doivent être en capacité d’adresser tous les supports à travers des contenus de qualité. En parallèle, le temps de l’information s’est considérablement accéléré et désormais, il ne faut surtout pas perdre son ADN, son identité et donc, sa qualité, parce que c’est ce qui nous unit à nos clients. D’ailleurs, les médias qui pèsent vraiment, y compris dans la sphère numérique, sont essentiellement issus des médias traditionnels. Ce qui prouve que faire de l’information est un métier et faire de la qualité, ne s’invente pas.

Enfin, n’oublions pas que la prochaine révolution sera celle de l’audio. Imaginons un instant le parc automobile français connecté à internet. Les gens n’écouteront plus forcément leur(s) radio(s) habituelle mais sélectionneront leurs contenus audios à travers des plateformes, et des médias comme le nôtre pourront y avoir accès. À l’avenir, d’autres supports d’information, plateformes ne manqueront pas d’arriver et l’enjeu sera de faire de la qualité pour alimenter tous les canaux.