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L’Allemagne va aussi aider la presse , avec quelques critiques à la clé

man sitting on bench reading newspaper

En France, l’État s’apprête à donner plus de 1,2 milliard € d’aide à la presse pendant deux ans (le soutien étatique le plus massif d’Europe) alors qu’en Allemagne, personne ne semblait vraiment enthousiaste à l’idée que l’Etat finance la transformation numérique de la presse.

Patrick Zanello a accepté de relever le défi ! Décortiquer, chaque semaine, le jeu des principaux acteurs des médias en Allemagne pour approfondir votre connaissance, avant notre Virtual Tour Germany.
Passionné des médias, Patrick est un expert suisse confirmé qui a un point de vue unique sur l’Allemagne et la France.

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Patrick Zanello

En Allemagne, personne ne semblait vraiment enthousiaste à l’idée que l’État allemand finance à hauteur de 220 millions € la transformation numérique de la presse au cours des prochaines années. Si les modalités ne sont pas encore fixées entre le Ministère des Affaires économiques et les éditeurs, les premiers échos parvenant du côté des éditeurs sont réservés sur ce «coup de pouce».

Tout cela est «opaque», «extrêmement dangereux» et c’est la fin d’un «tabou», ont écrit des journalistes après que le Bundestag eut décidé dans son deuxième paquet supplémentaire, début juillet, de soutenir les éditeurs de presse allemands avec des fonds publics.
Cette réticence n’est pas surprenante – même si l’industrie se plaint depuis des années de la diminution de la diffusion et de l’effondrement des revenus publicitaires. En effet, les éditeurs craignent de perdre leur crédibilité journalistique auprès du public car c’est la première fois dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne qu’un gouvernement injectera de l’argent dans des entreprises de médias privées.

“Mieux vaut que nos journaux fassent faillite que de perdre leur indépendance via des subventions”

Mathias Döpfner, président de l’Association des éditeurs (BDZV)

En Allemagne, il y a une stricte séparation entre la presse et l’État, et cette frontière ne devrait pas être négociable aux yeux du public. En conséquence, les éditeurs privés peuvent-ils accepter de l’argent de l’État sans compromettre automatiquement leur indépendance ? Voici ce qu’en pense Mathias Döpfner, président de l’Association des éditeurs (BDZV): “Mieux vaut que nos journaux fassent faillite que de perdre leur indépendance via des subventions“. Même le parti politique AfD, qui est par ailleurs plutôt hostile à la presse, s’est soudainement déclaré préoccupé par cette question de l’indépendance de la presse.

Alors, quel est le problème ? Une chose est claire : il serait naïf de supposer que la politique n’a absolument aucun intérêt à influencer les médias en sa faveur. En Allemagne, le cas de l’ancien rédacteur en chef de la ZDF, Nikolaus Brender, par exemple, a déclenché un débat national sur la dérive de l’orientation politique du service public allemand (l’équivalent de France TV ou de la SSR en Suisse). À tel point que la ZDF n’avait pas renouvelé le contrat de Brender à l’époque (le conseil d’administration étant majoritairement CDU, la force politique opposée).

Chez le voisin autrichien, la situation est assez différente. Là, les éditeurs de journaux – y compris les tabloïds populaires – bénéficient de publicités du gouvernement et des entreprises liées au gouvernement. L’Etat donne fièrement 178 millions € aux médias. Le «Kronen Zeitung» a reçu à lui seul environ 20 millions € en 2018 et a remercié le gouvernement «Kurz» avec une couverture plutôt sympathique de l’actualité du chancelier autrichien.

La majorité des allemands considère, par exemple, que les règles éthiques de répartition des subventions ne seront pas transparentes et que cela va nécessairement nuire à l’indépendance journalistique.

Pour revenir à l’Allemagne, les études menées auprès du public permettent de mieux comprendre les réserves sur des subventions publiques. La majorité des allemands considère, par exemple, que les règles éthiques de répartition des subventions ne seront pas transparentes et que cela va nécessairement nuire à l’indépendance journalistique.
Les chercheurs en médias aiment se référer à la Scandinavie sur le sujet. Il y a eu des programmes de financement publics et intensifs depuis des années et dans le même temps, la Suède, la Norvège et le Danemark sont toujours en première place dans le classement de la liberté de la presse.

Manuel Puppis, professeur des médias à Fribourg, en Suisse, déclare: “Idéalement, des organismes indépendants décident des candidatures basées sur des critères transparents.” . Par exemple, le nombre de journalistes employés en permanence, le rapport contenu éditorial / publicité ou le nombre de textes créés par la rédaction…
En Suisse, le financement public de la presse est un terme générique car il regroupe des aides données pour la distribution de la presse, le chômage partiel (période Covid19), les prêts étatiques (période Covid19) et des publicités achetées par les Cantons ou villes.

«Il est étonnant de voir à quel point les allemands parlent négativement de financement direct»

Manuel Puppis, professeur des médias à Fribourg

Dans de nombreux pays européens, des formes très différentes de toutes ces variantes se sont imposées comme des subventions valant des millions. Du point de vue de nombreux voisins, il est difficile de comprendre pourquoi cela est perçu comme tabou en Allemagne. «Il est étonnant de voir à quel point les allemands parlent négativement de financement direct», déclare Manuel Puppis. Il fait référence à la réduction de TVA déjà existante pour les produits de presse en Allemagne – il s’agit d’une forme de subvention indirecte mais financièrement solide.
Finalement, à quoi sert le financement public de la presse ? La recherche a encore du retard à cet égard – il n’y a pratiquement pas de travaux empiriques complets. Manuel Puppis a récemment comparé plusieurs systèmes de financement européens pour une étude commandée par le gouvernement suisse. «Il faut le voir de manière pragmatique», déclare le spécialiste des médias. «Cela n’arrêtera pas la crise médiatique. Mais cela a longtemps contribué à maintenir une certaine diversité, en particulier sur les petits marchés. Maintenant, cela ne fait que contribuer à la survie de ceux qui sont encore là. »

Personnellement, j’essaye de comprendre les réticences des éditeurs allemands face à l’argent public et je me demande si finalement, ce n’est pas l’accélération sur leur transformation numérique qui serait imposée par l’État allemand qui freine les éditeurs. En effet, la plupart d’entre-eux ont encore deux ou trois ans de travail avant que le digital ne prenne le pas sur le papier alors que c’est sur le print qu’ils gagnent encore bien leurs vies.

Liens

Aide à la presse en France : https://www.lefigaro.fr/medias/la-presse-recevra-des-aides-supplementaires-de-483-millions-sur-2-ans-20200827

Situation en Allemagne : https://www.ndr.de/fernsehen/sendungen/zapp/Wie-die-Regierung-die-Presse-foerdern-will,pressesubventionen100.html

Étude sur la place de la presse papier auprès des allemands (mai 2020): https://www.bdzv.de/fileadmin/bdzv_hauptseite/aktuell/pressemitteilungen/2020/Assets/SCHICKLER_Standortanalyse_Zeitungszustellung_-_Zusammenfassende_Begleitpr%C3%A4sentation.pdf

Patrick Zanello

Curieux des innovations qui font la presse d’hier, d’aujourd’hui et de demain, il a accompagné la croissance de différents éditeurs suisses et a participé à développer les revenus publicitaires de titres internationaux auprès des marques suisses. Patrick est aussi très actif dans le monde de la communication  (vice-président de CS Communication Suisse). Il nous fait bénéficier de certaines pépites provenant du marché allemand à travers son regard d’expert.

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